14 avril 2014
Fille de l’éclat
Rain, Abbas Kiarostami (2007)
Malgré la brièveté de sa vie, Forough Farrokhzad (1935-1967) est considérée par les iraniens comme la princesse des poètes persans. Elevée dans un milieu rigide par un père colonel, elle ne fera littéralement qu’étouffer toute son existence. Mariée à 16 ans pour échapper au carcan familial, elle divorcera aussi vite pour pouvoir s’émanciper. Pressentant peut-être son éphémère existence, elle se jettera à corps perdu comme une fleur assoiffée dans la poésie: La captive, 1955, Le mur, 1956, La révolte, 1957 et L’autre naissance, 1963.
Avec son compagnon le cinéaste Ebrâhim Golestan, elle réalisera un court-métrage poignant et dur, mi-documentaire mi-poème, La maison est noire (1962) sur une léproserie (encore l’enfermement) perdue dans les montagnes de l’ouest iranien.
Le réalisateur iranien Abbas Kiarostami rendra hommage à Forough Farrokhzad en utilisant le titre d’un de ses poèmes pour son film, Le vent nous emportera.
Adoratrice du chagrin
Ah si j’étais pareille à l’automne… pareille à l’automne
ah si je pouvais, tel l’automne, me fondre en tristesse et silence
jauniraient une à une les feuilles du désir
et froidirait enfin le soleil de mes yeux
de mon cœur le ciel par douleur alourdi
soudain crèverait en tempête, griffant de chagrin mon âme
et mes larmes semblables à la pluie
viendraient tremper ma jupe
ah qu’il serait beau d’être l’automne
sauvage, exalté de couleurs
un poète à travers mes yeux chanterait ses strophes célestes;
en mon sein allumée par l’ardeur de ce cœur épris
étincellerait la secrète douleur;
mon chant
cri de la brise aux ailes rompues
sur les cœurs fatigués répandrait du chagrin le baume;
devant moi :
penché sur ma jeunesse l’amer visage de l’hiver
derrière moi :
tel un amour soudain trouble de l’été
mon cœur :
demeure de chagrin de douleur d’inquiétude
ah si j’étais pareil à l’automne… pareille à l’automne…
Extrait du recueil Divar (le mur), 1956
Revue Caravanes n°6, 1997, traduit du persan par Derakhshesh
Le vent nous emportera
Dans ma petite nuit hélas,
Le vent a rendez-vous avec les feuilles
Dans ma petite nuit, existe l’angoisse de la ruine.
Ecoute!
Entends-tu le souffle de l’obscurité?
Je porte un regard étrange sur ce bonheur,
et je m’habitue à ma désespérance.
Ecoute!
Entends-tu le souffle de l’obscurité?
Il se passe quelque chose cette nuit.
La lune est rouge et anxieuse
et sur ce toit
qui risque à tout instant de s’effondrer,
les nuages comme une foule en deuil
semblent attendre l’instant de la pluie!
Un instant et puis, rien.
Derrière cette fenêtre la nuit tremble
et la terre cesse de tourner.
Derrière cette fenêtre,
un inconnu s’inquiète pour moi et toi.
Ô verdoyant!
Mets tes mains comme un souvenir brûlant
dans mes mains amoureuses
et confie tes lèvres comme une sensation vivante
aux caresses de mes lèvres amoureuses!
Le vent nous emportera!
Le vent nous emportera!
Extrait du recueil Tavalodi Digar (Une autre naissance), 1963
La conquête du jardin, traduit du persan par Jalal Alavinia en collaboration avec Thérèse Marini, Lettres persanes, Paris, 2005
Classé dans: 3.15 Littérature iranienne
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