3 juin 2015
Surface clairière profonde
Annabelle Amoros,Ban de la roche, 2012
L’équipe de la bibliothèque est en train de constituer un fonds qui mettra en dialogue la photographie à la littérature. Cette collection sera mise à la disposition du public dès l’automne 2015, inaugurant ainsi une partie du quatrième étage. Parmi les acquisitions, des livres rares, modernes ou encore originaux. Originale l’est cette collection invisible pull éditée par l’Asphodèle /espace pour l’art à Arles qui a pour leitmotiv de faire rencontrer un auteur et un artiste. Parmi ceux-ci, ce petit livre Surface clairière profonde avec une rencontre de la photographe Annabelle Amoros et l’écrivain Jean-Christophe Bailly.
C’est la nuit descendue elle couvre la vallée son signe ce sont des lumières celles que les hommes allument on les voit bien ce sont des feux des lueurs orangées une ponctuation étoilant le versant la montagne est couverte de neige mais les bois sont profonds ils sont noirs ils entourent la vallée ne la menacent pas ne la protègent pas ce sont des bras les lumières déploient des seuils d’absence d’où les maisons se voient chacune comme l’île d’un archipel qui s’étend tout est enfui en soi-même et le silence a gagné la partie nous sommes venus et nous sommes tombés c’est cette image elle est là devant nous et pourtant elle nous entoure nous sommes venus nous sommes tombés dans cette nuit des pas d’oiseaux des traces et des brindilles il ne reste rien des souffles s’effacent un peu de vent peut-être mais même pas non rien ne tremble la déposition des choses est ce poids qui les retire à l’absence où pourtant elles se consument ces lumières montrent l’habitation des hommes elles sont faites pour être vues par d’autres hommes bien sûr mais on dirait en les voyant qu’elles s’adressent à des présences invisibles ou au ciel lointain c’est pourquoi ainsi accrochées et formant des essaims immobiles elles ont à la fois apeurées et rassurantes en les regardant on s’entend marcher sur les pentes on s’entend revenir on descend on suit le mouvement de l’eau courant sous la neige on pense aux frémissements des bêtes et aux visages des hommes tels qu’on les voit quand on passe le long de leurs maisons la nuit s’y livrant à leurs travaux ou bien ne faisant rien ou déjà endormis tout ce peuple de gisants dont l’image est venue se saisir sans même avoir à les montrer
Jean-Christophe Bailly, Surface clairière profonde, Arles, Association Asphodèle, 2014
Partie aux Etats-Unis au Ban de la Roche en Iowa (probable clin d’œil au Lenz de Büchner), c’est de cette série qu’est tirée la photo ci-dessus.
De cette expérience, elle a aussi tourné un film Welcome to my world filmé à l’heure où les rues de cette petite ville d’Iowa plonge dans le crépuscule et se transforme ainsi en théâtre intemporel:
Classé dans: 2.10 Littérature française, VARIA
Commentaires