BEJ0513302.jpg@ Jean-Luc Bertini, Solovki

 

Jean-Luc Bertini est né en 1969 en région parisienne. Après un parcours scolaire accidenté et original, il s’est lancé dans la photographie professionnelle voici une quinzaine d’années. Collaborant avec les principaux titres de la presse nationale française et pour diverses revues littéraires, il travaille aussi en parallèle sur plusieurs projets de longue haleine. Nous pourrions citer ses portraits d’écrivains américains ou encore cette très belle virée photographique placée sous le signe de Nicolas Bouvier dans l’Est de l’Europe avec Kilomètres Est. Des projets que les lecteurs peuvent retrouver plus en détail sur son site personnel.

Son livre La bibliothèque perdue des îles Solovki est sorti en novembre 2014 aux Éditions du bec en l’air ; les photographies et des extraits du texte d’Oliver Rolin qui le compose seront exposés au sein de la bibliothèque du 21 avril au 28 juin 2015. Au travers d’un entretien, nous revenons avec lui sur la genèse du projet, son approche photographique et ses lectures.

 

Qu’est-ce qui fut à l’origine du livre Solovki ?

Ma rencontre avec Olivier Rolin à Guéret. On ne s’était pas vus depuis un moment ; je l’interroge sur ses projets en cours et du tac au tac il me parle des Solovki, un documentaire qu’il s’apprète à réaliser avec Elisabeth Kapnist, elle aussi présente lors de ce festival de Chaminadour. Je suis enthousiaste dans la minute qui suit, et me déclare hardiment volontaire. De longs pourparlers avec la production s’en suivirent, car la partie fut loin d’être jouée d’avance…

 

Dans cette série Solovski, il n’y a que très peu de photographies sans une ou plusieurs personnes dans le cadre, pourquoi ce parti pris ?

Cela doit venir en partie d’un tropisme photographique ; j’aime repérer les figures solitaires ; elles m’attirent et sont souvent ma cible. Lorsque je voyage en photographie, je me retrouve très vite dans mon far west mental. Et puis, c’était encore l’hiver, les températures descendaient bien en dessous de zéro ; aussi, se comporte-t-on ici comme partout ailleurs quand il fait froid : on reste chez soi. Aux Solovki par exemple, hormis deux épiceries, il n’y avait rien d’ouvert, et les habitants se déplaçaient avec parcimonie et seuls la plupart du temps.

 

A posteriori, quels sentiments vous restent-il de ce voyage ?

Je conserve une impression de ravissement et de beauté brutale, surtout lorsque je repense aux Solovki où je me suis promis de retourner. Mais ce sentiment ne masque pas tout à fait celui qui lui serait opposé, je veux parler d’un sentiment d’effroi. Lequel serait directement lié aux visons de paupérisation des campagnes et des villages de Carélie que nous avons traversés.

 

Ce n’est pas la première fois qu’un projet vous entraîne vers l’Est de l’Europe – je pense à votre Kilomètre Est – qu’est-ce qui vous attire dans cette direction ?

J’y retrouve probablement une forme de proximité affective. Car j’ai besoin d’empathie pour voyager. Et puis j’aime observer des pays traversés et remués par l’Histoire et ses idéologies. La Russie semble d’ailleurs toujours en proie à ses démons (il suffit de lire La fin de l’homme rouge de Svetlana Alexievitch pour s’en convaincre). Tous ces visages que l’on y croise, portent quelque chose de ce drame-là, et sans doute que les figures de ce « théâtre » m’attirent pour d’obscures raisons humaines. Mais au milieu de ces tragédies (mais pas uniquement), une géographie hors du commun me ramène à ce pays, que je ne sais voir qu’à travers la lorgnette de la photographie.

 

Est-ce que vous sentez qu’il y a une manière différente d’aborder photographiquement l’Est et l’Ouest (notamment les États-Unis, son espace) – où d’autres projets vous mènent souvent ?

Non, je ne pense pas qu’il existe une manière de photographier tel ou tel territoire ; je crois plutôt que cela regarde surtout la sensibilité du photographe, et/ou du travail qu’il veut mener.

 

Vous êtes un grand lecteur, vous êtes d’ailleurs l’un des fondateurs de la revue La femelle du requin ; quels livres russes avez-vous lu avant, pendant ce voyage ?

J’avais emporté deux livres avec moi, et ne me souviens que de celui lu durant ces longues heures de train : Les carnets de la Maison morte de Dostoïevski ; un livre de circonstances puisqu’il s’agit du récit de ses années de bagne. J’ai lu d’autres livres depuis ; pour n’en citer qu’un seul, Voyage au pays des Ze-Ka de Julius Margolin. Un témoignage effarant de ces années de terreur.