L'homme qui écrit

Toujours accoutré d’un gros magnétophone à bande qu’il « tripotait avec autant d’entrain que le corps d’une femme », le poète Paul Blackburn (1926-1971) enregistrait tout ce qu’il croisait pendant ses errances new-yorkaises : les performances, des lectures des autres, les siennes. Paul Blackburn fut l’astre-poète new-yorkais des années soixante. Proche de Robert Creeley et de l’expérience du Black Mountain College, Paul Blackburn a construit sa poésie comme on « raconte sa vie, c’est tout, et rien d’autre ». Ce qu’il fit par exemple dans le Narcisse de New-York, la traduction du poème ouvrant son recueil : The cities - seul livre traduit en français de son vivant.

 

un

Paul Blackburn, Villes ; suivi de Journaux, Paris, J. Corti, 2011

 

Comme on peut le voir avec les espacements de ce poème, Blackburn s’inspire particulièrement de la théorie des vers projectifs de Charles Olson : le souffle du poème (et du poète) s’harmonise avec l’agencement de la forme. Concordance possible grâce à l’art de la frappe à la machine à écrire :

C’est l’avantage de la machine à écrire, qui, grâce à sa rigidité et à la précision de ses espacements, peut fournir au poète des indications exactes de souffle, de pauses, de suspensions même de syllabes, de juxtapositions même de parties de phrases, comme il l’entend. Pour la première fois, le poète dispose de la portée et de la mesure que possède le musicien depuis longtemps.

Dans la lignée d’Ezra Pound qu’il fréquenta, Blackburn s’est aussi plongé dans la traduction la poésie des troubadours. Ainsi un voyage en France et en Espagne s’imposa, si le second pays enchanta Blackburn, le premier nettement moins. Reste ces belles évocations parisienne et toulousaine.

 

Deux

 

 

Dans la note d’introduction à ce recueil, il termine, pour expliquer la clé de son œuvre, par cette énigmatique sentence : ciseaux, pierre et papier. On fera avec quelques temps. Toutefois, peu de mois avant sa mort d’un cancer, dans un entretien, il se fit plus explicite :

J’avais écrit à la base trois, types de poèmes dans des proportions différentes. Pierre, disons, c’est le concret. Le centre du poème est l’objet au sens où Williams, personne ou chose. L’objet a autant de sens que ce que les mots peuvent lui offrir. C’est la pierre. Le papier, c’est là où la forme est au fond une idée, même si l’idée n’est jamais mentionnée. – Et les ciseaux, qu’est-ce qu’ils vous rappellent ? Ce sont les poèmes d’amour, mec. Les jambes qui s’ouvrent et se ferment. Le truc, c’était d’organiser le volume en forme de rythme…