Matière grise, Frontispice

Paul Valet, in : Matière grise, Paris, GLM, 1953

 

« On me demande mon état-civil : or, je n’ai aucune confiance en lui. Est-il vrai ? Est-il faux ? Je n’en sais rien.

J’ignore qui je suis – La police le sait mieux que moi – « Vos papiers s’il vous plaît » – Identité non signifiée – Papiers et papiers à peine ratifiés – Je suis dans un monde qui me regarde stupéfait – Plein de fêlures de fissures – Que je suis menu dans ici-bas imposant – On me prépare des fusées plus funestes – On prépare des ogives plus célestes
Voici la tempête qui se lève de nouveau sans qu’on sache pourquoi ni ce qu’elle va pulvériser – Affaire sur Affaire et la hâte sur la hâte – J’ai repensé l’impensable – Aurai-je le temps de crier ? – D’un profond sommeil je sors écrasé – Quoi de plus simple que les yeux sans visées ?
Mais non – Rien n’est simple – Tout est pourri d’insoluble – Et quand le bonheur découvre son visage, mon Dieu, est-ce vraiment un visage ? – Ou une cagoule ? – Et mon visage à moi – Est-ce vraiment un visage à moi – ou celui d’un autre naufragé inconnu ? – Jamais je n’ai vu mon visage étrange

Que pourrais-je vous donner de plus grand que mon gouffre? (1983)

 

Le poète n’a pas d’identité, il n’a ni biographie, ni « chronologie », ni « histoire », ni « avenir ».

Paul Valet

Ni grec ni juif ni gaulois ni chinois ni catholique ni protestant ni figue ni raisin

Rien du tout

Un clou
Un clou rouillé
Un clou sauvage
Un clou de sabotage
Engagé volontaire
Dans votre chambre à air

Poésie mutilée (1950)

Comme ça, 2

Paul Valet, in : Comme ça, Paris, GLM, 1952

 

La seule chose qui demeure, c’est sa bibliographie. C’est beaucoup et c’est peu. Pour comprendre un poète, il suffit de le lire. Tout le reste est inutile, faux et fastidieux.

 

Pourtant il existe

Sain comme un bœuf
Beau comme un saint
Gros comme un porc
Gros comme un mot

Il existe le mot

Le mot nécessaire
Têtu comme une pierre
Perdu comme un oiseau

Il existe le mot

Pas deux comme lui
Pas l’ombre d’un doute
Pas l’ombre d’une chose

Il existe le mot

Saint incarné vivant
L’esprit l’âme et le corps
Charbon ardent dans la bouche

Il existe le mot

Le mot silencieux
Le mot dangereux
Le mot merveilleux

Il existe le mot

Poing levé de ce feu
Qu’aucune eau n’éteindra

Il existe le mot

Qui appelle les choses par leur nom
Comme l’apprenti sorcier
Il crée Il défait le monde

Il existe le mot

Chaque mot
Est un marteau
Bat le cœur
Quand il est chaud

Les poings sur les i (1963)

 

Certes, à côté du poète, il y a l’homme.

Poésie mutilée, 3

Paul Valet, in : Poésie mutilée, Paris, GLM, 1950

 

Mais croyez-moi, cher ami, c’est très peu de chose et qui ne présente aucun intérêt. »

Lettre de Paul Valet à Pascal Pia, 13 novembre 1970, in : Paul Valet, soleils d’insoumission, Paris, J.-M. Place, 2001