SamWinston© Sam Winston, Drawing On Memory 

Avec son autobiographie Just Kids (2010), Patti Smith revenait avec beaucoup de délicatesse sur son enfance en Illinois mais aussi et surtout sur ses premières années new-yorkaises et la vie qu’elle partagera avec le photographe Robert Mapplethorpe. La chanteuse américaine nous faisait plonger dans ce New-York en ébullition du début des années soixante-dix en nous narrant son chemin artistique qui aboutira à l’album Horses et lancera sa carrière de rockeuse en 1975.

Just Kids offrait aux lecteurs l’image d’une poétesse habitée, empathique et d’une liberté sans faille. Ce printemps 2016, Patti Smith revient avec la traduction française de M Train, que l’on pourrait voir comme une suite à Just Kids. Dans ce recueil, elle continue à mélanger comme dans la plupart de ses livres la photographie et l’écriture (voir son beau Charleville et sa quête vers Arthur Rimbaud). Ainsi M Train se compose d’une multitude d’instantanés qui se donnent à voir comme des étonnements face au temps qui passe. Patti Smith joue avec tous les registres littéraires, le récit se fait ainsi tour à tour onirique (l’ouverture du texte avec le cow-boy), mélancolique ou encore loufoque (Biscuits en forme d’animaux). Par ailleurs, elle ne cesse de payer passionnément ses dettes à ceux et celles qui l’ont inspirée tout au long de sa vie : Jean Genet, Arthur Rimbaud, William Burroughs, Roberto Bolaño ou encore W.G. Sebald. Profitant de ses concerts ou de ses voyages, elle part sur leurs traces – parfois même au futur antérieur – comme à Cayenne parce que Jean Genet aurait voulu aller là-bas au bagne…

Quelques mois avant notre premier anniversaire de mariage, Fred m’a annoncé que, si je lui promettais de lui donner un enfant, alors il commencerait par m’emmener n’importe où dans le monde. Sans hésitation, j’ai choisi Saint-Laurent-du-Maroni, une ville frontière dans le nord-ouest de la Guyane française, sur la côte atlantique nord de l’Amérique du Sud. Cela faisait longtemps que j’avais envie de voir les vestiges de la colonie pénitentiaire où les pires criminels étaient envoyés par bateau, avant d’être transférés sur l’île du Diable. Dans Journal d’un voleur, Genet décrivait Saint-Laurent comme une terre sacrée et parlait des détenus avec une compassion empreinte de dévotion. Dans son Journal, il évoquait une implacable hiérarchie de la criminalité, une sainteté virile dont le sommet se trouvait sur les terribles terres de Guyane française. Il avait gravi les échelons pour se rapprocher d’eux : maison de redressement, chapardeur, par trois fois sanctionné ; mais tandis que sa condamnation était prononcée, le bagne qu’il tenait en si haute estime fermait, jugé inhumain, et les derniers prisonniers vivants furent rapatriés en France. Genet fut incarcéré à la prison de Fresnes, se lamentant avec amertume de ne pas pouvoir atteindre la grandeur à laquelle il aspirait. Anéanti, il écrivit : On me châtre, on m’opère de l’infamie. Genet fut emprisonné trop tard pour intégrer la communauté qu’il avait immortalisée dans son œuvre. Il resta à l’extérieur des murs de la prison, tel le boiteux de Hamelin à qui fut refusée l’entrée au paradis parce qu’il était arrivé trop tard devant ses portes. A soixante-dix ans, Genet était, disait-on, en fort mauvaise santé et, très probablement, il n’irait jamais voir le bagne de Guyane. Je me suis vue lui apporter sa terre et ses cailloux. Quoique souvent amusé par mes chimères, Fred n’a pas pris à la légère cette mission que je m’imposais. Il a dit d’accord sans discuter. J’ai écrit à William Burroughs, que je connaissais depuis mes vingt ans. Proche de Genet, ayant une sensibilité romantique bien à lui, William a promis de m’aider à livrer les cailloux le moment venu.

Patti Smith, M Train, Paris, Gallimard, 2016

Les livres de Patti Smith sont disponibles au quatrième étage de la bibliothèque de la Fondation, en anglais et en français.

Rimbaud

 

Patti Smith, Charleville, Arles, Acte Sud, 2008