par Emmanuel Adely

Additions de voix d’hommes et de femmes et de femmes surtout, les livres de Svetlana Alexievitch sont des recueils de paroles simples c’est-à-dire de paroles de gens simples qu’elle nous fait entendre au plus près de leur bouche, de leur présence physique, très exactement là, en face. Et ça, déjà ça cela est énorme, être dans ce face-à-face immédiat et écouter l’autre, écouter le témoin des choses, l’entendre en le lisant. Peut-être c’est cela d’ailleurs qui aussitôt stupéfie, cette écriture qui fait entendre la peau de l’autre. Son souffle. L’homme et la femme au milieu de. Lisant Alexievitch, j’entends l’autre, je vis l’autre, je le suis. L’écriture d’Alexievitch est charnelle, absolument incarnée, en elle-même elle est un corps et elle est tous les corps.
Qui traversent la Seconde Guerre mondiale côté soviétique (La guerre n’a pas un visage de femme), ou l’après Tchernobyl (La Supplication), ou la chute du communisme en ex-URSS (La Fin de l’homme rouge), et nous entraînent après eux et avec eux. Dans ce tragique au quotidien, dans la simplicité de l’événement vécu.
Alexievitch fait simplement parler l’humain et ainsi nous place à la place. De. L’autre que je pourrais être aujourd’hui après un accident nucléaire, hier pendant la guerre, moi dispersé en une infinité de voix possibles. Qui parlent, déversent ce flot de mots jamais dits, ou jamais dits ainsi. Dans la confiance de l’écoute la parole surgit, renversante. Tout ce matériau-là, magistralement agencé, est donné ainsi, sans recul apparent, jusqu’à créer une polyphonie proche, à l’évidence, du chœur antique et classique, mais un choeur contemporain, pris dans la tragédie de l’histoire. De l’oralité de cette foule vivante, Alexievitch fait œuvre gigantesque, un instantané de notre présence au monde, et atteint ainsi à notre universel, celui de la condition humaine. C’est incontournable.