8 décembre 2015
Les poings sur les i
Paul Valet, in : Matière grise, Paris, GLM, 1953
« On me demande mon état-civil : or, je n’ai aucune confiance en lui. Est-il vrai ? Est-il faux ? Je n’en sais rien.
J’ignore qui je suis – La police le sait mieux que moi – « Vos papiers s’il vous plaît » – Identité non signifiée – Papiers et papiers à peine ratifiés – Je suis dans un monde qui me regarde stupéfait – Plein de fêlures de fissures – Que je suis menu dans ici-bas imposant – On me prépare des fusées plus funestes – On prépare des ogives plus célestes
Voici la tempête qui se lève de nouveau sans qu’on sache pourquoi ni ce qu’elle va pulvériser – Affaire sur Affaire et la hâte sur la hâte – J’ai repensé l’impensable – Aurai-je le temps de crier ? – D’un profond sommeil je sors écrasé – Quoi de plus simple que les yeux sans visées ?
Mais non – Rien n’est simple – Tout est pourri d’insoluble – Et quand le bonheur découvre son visage, mon Dieu, est-ce vraiment un visage ? – Ou une cagoule ? – Et mon visage à moi – Est-ce vraiment un visage à moi – ou celui d’un autre naufragé inconnu ? – Jamais je n’ai vu mon visage étrange
Que pourrais-je vous donner de plus grand que mon gouffre? (1983)
Le poète n’a pas d’identité, il n’a ni biographie, ni « chronologie », ni « histoire », ni « avenir ».
Paul Valet
Ni grec ni juif ni gaulois ni chinois ni catholique ni protestant ni figue ni raisin
Rien du tout
Un clou
Un clou rouillé
Un clou sauvage
Un clou de sabotage
Engagé volontaire
Dans votre chambre à air
Poésie mutilée (1950)
Paul Valet, in : Comme ça, Paris, GLM, 1952
La seule chose qui demeure, c’est sa bibliographie. C’est beaucoup et c’est peu. Pour comprendre un poète, il suffit de le lire. Tout le reste est inutile, faux et fastidieux.
Pourtant il existe
Sain comme un bœuf
Beau comme un saint
Gros comme un porc
Gros comme un mot
Il existe le mot
Le mot nécessaire
Têtu comme une pierre
Perdu comme un oiseau
Il existe le mot
Pas deux comme lui
Pas l’ombre d’un doute
Pas l’ombre d’une chose
Il existe le mot
Saint incarné vivant
L’esprit l’âme et le corps
Charbon ardent dans la bouche
Il existe le mot
Le mot silencieux
Le mot dangereux
Le mot merveilleux
Il existe le mot
Poing levé de ce feu
Qu’aucune eau n’éteindra
Il existe le mot
Qui appelle les choses par leur nom
Comme l’apprenti sorcier
Il crée Il défait le monde
Il existe le mot
Chaque mot
Est un marteau
Bat le cœur
Quand il est chaud
Les poings sur les i (1963)
Certes, à côté du poète, il y a l’homme.
Paul Valet, in : Poésie mutilée, Paris, GLM, 1950
Mais croyez-moi, cher ami, c’est très peu de chose et qui ne présente aucun intérêt. »
Lettre de Paul Valet à Pascal Pia, 13 novembre 1970, in : Paul Valet, soleils d’insoumission, Paris, J.-M. Place, 2001
Classé dans: 2.10 Littérature française, VARIA
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