Christophe Colomb
© Robert Frank, View from hotel room window, Butte, Montana, 1956

Mis quelque peu à l’ombre par l’Ezra Pound des années 30-40, William Carlos Williams connut une gloire tardive avec la publication de son long poème Paterson (1946) – du nom de sa ville de naissance (qui est aussi celle d’Allen Ginsberg).
C’est dans celle-ci qu’il exercera la médecine une grande partie de sa vie. Au côté de Charles Olson, Robert Lowell ou encore Robert Frost, il est aujourd’hui reconnu comme l’une des influences principales dans la poésie américaine de la seconde moitié du XXème siècle. Nous reprenons ci-dessous la courte biographie de Jacques Darras, placée en postface d’Au Grain de l’Amérique (Editions Bourgois, « Titres »). Le texte est agrémenté de liens renvoyant vers des sons, des écrits des auteurs cités ou encore des films qui permettront d’élargir cette lecture vers d’autres pistes. Par la même occasion, nous vous recommandons ubuweb du poète Kenneth Goldsmith – mine d’archives sur les avant-gardes des XX et XXIème siècles.

 

Mars-1883.
Naissance à Rutherford, New Jersey, à une trentaine de kilomètres à l’ouest de New York, de l’autre côté de l’Hudson, de William Carlos Williams fils de Williams George Williams, d’origine anglaise, jamais naturalisé américain, inspecteur de la régie des alcools, en contact professionnel avec l’Amérique Latine, et de Raquel Hélène Hoheb, d’origine espagnole et française, et dont la famille venait de Saint-Domingue (point à considérer si l’on se souvient que c’est aussi la première terre d’Amérique découverte par Christophe Colomb ; voir Au Grain d’Amérique). Un an après, William Carlos ainsi prénommé en l’honneur son oncle chirurgien Carlos, naît Edgar, le frère de William.   

 

1899-1902.
Après un séjour d’un an en Europe dans une pension genevoise, suivi d’une visite à Paris chez l’une des filles de l’oncle Carlos, mariée à un ingénieur travaillant sur le projet de Lesseps du canal de Panama, William, Edgard et leur mère, qui a gardé la nostalgie de ses années de peinture en France, rentre aux États-Unis. William chez qui l’on parle aussi bien français qu’espagnol ou anglais, fréquente le lycée Horace Mann de New York d’où il passera directement à l’école de médecine de l’Université de Pennsylvanie.

 

1902-1906.
Diplômé de l’École de médecine, Williams rentre comme interne au French Hospital de New York où il fait des études de pédiatrie et d’obstétrique ; puis un stage au Nursery and Child’s Hospital avant d’entreprendre un voyage à Leipzig. Car pendant ce temps Ezra Pound a quitté l’Amérique pour Venise où il a publié son premier recueil A lume spento, puis Londres d’où il adresse à Williams, lauréat du grand prix d’architecture est envoyé à Rome. Williams lui aussi vient de publier à compte d’auteur à Rutherford ses premiers poèmes Poems, du « mauvais Keats » dira-t-il plus tard. Le tour d’Europe se termine par l’Espagne, à Palos ou Huelva « d’où Colomb était parti pour son premier voyage en Amérique ».

 

1911-1917.
À son retour, Williams ouvre un cabinet de médecine à Rutherford, accomplit ses premières visites à bicyclette, puis en 1911 fait l’acquisition d’une Ford qui traversa les pages du Grand Roman américain. Il épouse Flossie Hermann et s’installe à Nine Ridge Road qu’il ne quittera pratiquement plus. Il suit des cours de pédiatrie trois fois par semaine à New York tout en continuant d’écrire. C’est aussi à ce moment que le monde de l’art, encore très effervescent en Europe, commence à se déplacer vers New York, à la porte même de Williams. En 1913 se tient le célèbre Armory Show où est exposé le « Nu descendant un escalier » de Marcel Duchamp. Walter Arensberg et Alfred Kreymborg lancent une petite revue Others autour de laquelle s’échangent des pratiques picturales et scripturales (Marcel Duchamp, Man Ray, Mina Loy, Malcom Cowley, etc.) Cependant à Londres, Ezra Pound, Hilda Doolittle et Richard Aldington énoncent les principes de l’imagisme. Kandinsky publie Du spirituel dans l’Art. Cendrars écrit Pâques à New York, Apollinaire, combattant pour le cubisme avant d’aller combattre au front, Zone. Williams fait paraître, toujours à compte d’auteur, en 1917, Al Que Quiere (To him Who Wants It) « À qui le demande » (« j’ai toujours associé ce titre à un joueur sur un terrain de football qui demande qu’on lui passe le ballon », précise-t-il malicieusement dans I wanted to write a Poem, « J’ai voulu écrire un poème »).

 

1917-1923
Au lendemain de la guerre causée par « la bêtise, les calculs pervers d’une société avide d’argent », (Autobiographie, chap. 27), de nouveaux bouleversements dans le monde des lettres. L’expérience Dada gagne New York relayée par Duchamp et Picabia, lequel débarque dans la revue 291 produire dans le cercle du photographe Stieglitz. Cependant que The Little Review combat pour défendre Ulysse  de Joyce (1922) éclate, la même année, ce que Williams appelle la catastrophe dans nos lettres : The waste Land (la terre vaine) de T.S. Eliot. Poème redonnant la poésie aux universitaires, selon Williams, stérilisant l’impulsion née du « local », du lieu. Williams publie sa première œuvre importante Kora in Hell, sous-titrée Improvisations en 1920, puis en 1923 Spring and All, texte tissé de prose et de poésie, dont les célèbres poèmes la brouette rouge, le chiffre 5, ainsi que Le Grand Roman américain imprimé dans l’île Saint-Louis à Paris.

 

1924-1944
Laissant son cabinet médical, ses deux enfants, derrière lui, en Amérique, Williams décide de prendre une année sabbatique en Europe que fréquentent les écrivains américains de la « Lost Generation », génération perdue, suivant l’expression du garagiste de Gertrude Stein. Cette visite donnera naissance au chapitre Le Père Sébastien Rasles dans Au grain de l’Amérique (1925), aux chapitres 31-36 de l’Autobiographie (1948) et au roman A voyage to Pagany (1928). À Paris, Williams voyage sur l’autre versant du Paradis doré où se déplacent les artistes américains, avançant avec une obstination et une prudence d’indien, ne rencontrant une attention avertie, intelligente que chez Valery Larbaud, côtoyant aussi la misère du peuple français. Pour Williams la tâche est désormais de constituer la mémoire de l’Amérique, d’analyser les éléments qui font sa spécificité, dans la fidélité au « local ». Cependant que les prémisses de la seconde guerre mondiale s’affirment, que Pound, à Rapallo, en Italie, s’engloutit dans la politique, l’économisme à tout crin, les mirages du fascisme de Mussolini, Williams, sans se désintéresser des problèmes sociaux s’attache à son travail poétique. Poursuivant le cours tracé dès 1920-1923 en compagne de Bob Mac Almon à travers la revue Contact, il fonde à New York en compagnie de Louis Zukofsky, George Oppen, Charles Reznikoff, Basil Bunting. Objectiviste, Williams l’est depuis le début, tout à la fois par son intérêt pour l’objet réel, pour le poème en tant qu’objet réel, pour le poème en tant qu’objet, et pour la focalisation poétique : « La lentille concentre la luminosité d’un objet dans un foyer. » Parallèlement, Williams romancier publie White Mule (1937) et In the Money (1940).

 

1944-1963
Cette dernière période est concernée presque exclusivement par la composition du grand poème Paterson (cinq chants de 1946 à 1958, plus un sixième inachevé). Grande œuvre de Williams où sont rassemblés et orchestrés selon les principes d’atonalité et de rupture tous les thèmes précédents. Tentative désespérée pour redonner le poème au langage commun, populaire dont l’avait exclu Eliot. Poème anti-Waste Land si l’on peut dire, encore que Williams ait sans doute sous-estimé le pouvoir de fascination de son modèle. « J’avais toujours su que j’aimerais écrire un long poème mais je ne sus ce que je voulais faire que lorsque j’eus l’idée d’identifier un homme et une cité… Paterson avait une histoire, une importante histoire coloniale. Elle avait en plus un fleuve – le Passaïc et ses chutes. J’ai peut-être été influencé par James Joyce qui avait fait de Dublin le héros de son livre. J’avais lu Ulysse. Mais j’oubliai complètement Joyce pour tomber amoureux de la ville. » Emergeant enfin de l’indifférence sociale où le tenait la communauté, Williams verra les dernières années de son existence marquées par l’estime des jeunes poètes. Son compatriote Allen Ginsberg naîtra en poésie au Chant IV de Paterson, lettre incluse dans le courant du poème. William Carlos Williams écrira plus tard une préface à Howl (1956). « Relevez le bas de vos jupes, Mesdames, nous allons pénétrer en enfer », tout en descendant lui-même aux infernaux Paluds à la poursuite d’une plante plus douce « Asphodel that greeny flower ». The Desert Music and Other Poems (1962) couronneront l’œuvre de Williams qui meurt à Rutherford le 4 mars 1963.