29 mai 2016
Sous les espèces du silence
Man Ray, Portrait de Benjamin Fondane
Charlie Chaplin a désormais son musée en Suisse. On sait par tous les écrits de l’époque (ceux de Desnos, d’Aragon, Cendrars, Fernand Léger, etc.) comment, dans les années vingt, les films du petit vagabond soulevèrent l’enthousiasme de tous les milieux d’avant-garde. Surtout connu comme poète et philosophe, Benjamin Fondane fut également un excellent critique et théoricien du cinéma. Lorsqu’au milieu des années vingt il quitte la Roumanie pour Paris, où il marche sur le fil de toutes les avant-gardes, lui aussi partage l’enthousiasme général pour le film muet.
10 mai 2016
Les traîneries monstres
Robert Rauschenberg, Riding bikes, 1998
La forme d’une ville change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel, Hanns Zischler pourrait faire sien les vers de Charles Baudelaire pour son Berlin est trop grand pour Berlin. De destructions incessantes (et cela même avant les bombardements de la deuxième guerre mondiale) en reconstructions sans plan réel d’urbanisme, la ville de Berlin n’a jamais réussi qu’à devenir le fantôme de la ville internationale qu’elle voudrait être. La réédition de ce Berlin est trop grand pour Berlin (épuisé dans une version courte depuis quelques années) aux éditions Macula est la bienvenue pour comprendre cette histoire et la sensation étrange que l’on peut ressentir en déambulant dans cette ville.
Classé dans: 7.10 Littérature allemande, VARIA
4 mai 2016
Les cailloux de Cayenne
© Sam Winston, Drawing On Memory
Avec son autobiographie Just Kids (2010), Patti Smith revenait avec beaucoup de délicatesse sur son enfance en Illinois mais aussi et surtout sur ses premières années new-yorkaises et la vie qu’elle partagera avec le photographe Robert Mapplethorpe. La chanteuse américaine nous faisait plonger dans ce New-York en ébullition du début des années soixante-dix en nous narrant son chemin artistique qui aboutira à l’album Horses et lancera sa carrière de rockeuse en 1975.
Classé dans: 8.20 Littérature américaine, VARIA
7 avril 2016
Surpris par la nuit : les objectivistes américains
Louis Zukofsky et Paul Blackburn © 1997 Elsa Dorfman (it’s our tiny refrigerator)
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« Sincérité et objectivation », « Je vois une chose, elle m’émeut, je la transcris comme je la vois, je m’abstiens de tout commentaire ». C’est ainsi que Louis Zukofsky et Charles Reznikoff décrivaient ce mouvement mis au goût du jour avec la publication du numéro que leur a consacré la Revue Poetry en 1931. S’ajoutent à ce petit groupe, George Oppen et Carl Rakosi. Aussi pourrait-on y accoler un cousin anglais, Basil Bunting qui, à la même époque, traçait une veine poétique similaire. Inspirés par Ezra Pound et Carlos Williams Carlos, leur influence n’a cessé de croitre tout au long du XXème siècle.
Classé dans: 8.20 Littérature américaine
6 avril 2016
L’œuvre-monde de Mario Vargas Llosa
Stuart Franklin, At the Malecon in Miraflores, 2007
C’est probablement son rêve d’étudiant liménien qui se réalise pour Mario Vargas Llosa avec la publication dans la collection de Pléiade d’une partie de son œuvre. Après avoir été lauréat en 2010 du Prix Nobel de littérature, cette prestigieuse édition en deux tomes (c’est lui qui a choisi les romans qui y figurent) offre d’une façon méritée à Mario Vargas Llosa une seconde récompense de choix. Ecrivain acharné – comparé avec affection à un rhinocéros par Julio Cortázar – tant dans le genre romanesque, l’essai ou encore les pièces de théâtre, Mario Vargas Llosa a eu une production ample et singulière. Cette dernière compte aujourd’hui plus d’une trentaine de titres s’affirme comme l’une des plus conséquentes d’Amérique Latine à l’instar de Jorge Luis Borges, Octavio Paz, Julio Cortázar, Gabriel Garcia-Marquez ou encore Carlos Fuentes.
Classé dans: 4.87 Littérature péruvienne
27 mars 2016
On a clothesline
Dans la rue on ne verra bientôt plus que des artistes et on aura toutes les peines du monde à y découvrir un homme.Arthur Cravan
Mina Loy, Christ on a clothesline
Chevalier d’industrie, marin sur le Pacifique, muletier, cueilleur d’oranges en Californie, neveu d’Oscar Wilde, bûcheron dans les forêts géantes, petit-fils du chancelier de la reine, chauffeur d’automobile à Berlin, cambrioleur, poète et boxeur, Arthur Cravan n’a pas épuisé tous les possibles de ses métamorphoses.
Classé dans: 2.10 Littérature française, VARIA
15 mars 2016
En quête de miracle
Marina Abramovic, 1974
En 1974, dans une galerie de Naples, une jeune femme d’origine yougoslave décrète qu’elle se tiendra, six heures durant, à la disposition du public, acceptant passivement tout ce qu’on jugera bon de lui faire subir. Pour encourager la participation des visiteurs, elle dispose sur une table différents objets parmi lesquels des chaînes, des fouets, une ceinture en cuir, des lames de rasoir, une fleur, des plumes, une lotion pour le corps.Pendant les premières heures, les visiteurs se contentent de tourner autour de l’artiste, effleurant, ou tâtant, délicatement certaines parties de son corps. Cependant, la nature des interventions évolue et, aux environs de la quatrième heure, tous les vêtements de l’artiste ont été lacérés, et elle est, elle-même, l’objet d’actes de plus en plus violents. Un petit homme âgé tire le visage de l’artiste à lui et l’embrasse longuement sur la bouche. Le corps nu est étreint, pincé, fouetté. Quelqu’un entreprend même de pratiquer des incisions à l’aide des lames de rasoir et de sucer le sang des blessures. Aux environs de la cinquième heure, le public réalisant que l’artiste, décidément, n’offrira aucune résistance, quoi que l’on entreprenne sur son corps, il devient clair que la jeune femme, désormais, a toutes les chances d’être agressée plus violemment encore et violée avant la fin de l’action. La situation semble même prendre un tour si incontrôlable qu’un groupe de protecteurs se forme peu à peu. Quand, aux environs de la sixième heure, un individu particulièrement diabolique place un revolver chargé dans la main de l’artiste, dispose le doigt de celle-ci autour de la détente et tente de pointer le canon vers sa tempe, les protecteurs s’interposent pour écarter définitivement tout danger.
Classé dans: 8.20 Littérature américaine, VARIA
25 février 2016
Un trajet éprouvant
GOETHE : Par où diable m’as-tu donc suivi ?LENZ : J’ignore par où tu es passé, mais j’ai fait un trajet éprouvant.
Jakob M. R. Lenz, Pandaemonium Germanicum
©Claudio Hils, Hölderlin : eine Winterreise, Tübingen, Klöpfer und Meyer, 2012
Le propos est toujours le même : Hölderlin à Böhlendorf : « Allemand, je dois le rester, dussent les besoins de mon cœur et le besoin de manger me poussser jusqu’à Tahiti » ; Kleist à Frédéric-Guillaume III : « plusieurs fois déjà », dit-il « il en est venu à la triste pensée » qu’il devrait rechercher sa subsistance à l’étranger ; Ludwig Wolfram à Varnhagen von Ense : « vous n’allez pas laisser un écrivain allemand de réputation irréprochable être la proie de la misère ». Gregorovius à Heyse : « ces Allemands vous laisseraient tout bonnement mourir de faim ». Et voici maintenant Büchner s’adressant à Gutzkov : « vous aurez l’occasion de voir tout ce dont un allemand est capable quand il a faim ». De telles lettres font tomber une lumière crue sur la longue procession de poètes et de penseurs allemands qui, rivés à la chaîne d’une commune misère, se traîne au pied du Parnasse de Weimar où les Professeurs s’en vont justement herboriser.
Walter Benjamin, Allemands : une série de lettres, Paris, Hachette littérature, 1979
Classé dans: 7.10 Littérature allemande
10 février 2016
La bouche collective
Kurt Schwitters, Difficult
Face à l’encerclement de Madrid par les forces nationalistes, le gouvernement républicain fait appel en automne trente-six aux troupes anarchistes basées sur le front de Saragosse. Le 20 novembre 1936, aux abords de la cité universitaire de Madrid, d’une balle dans le dos, leur leader Buenaventura Durruti s’écroule mortellement. Tirée par qui ? Les fascistes ? Les communistes ? Son garde du corps ? Un accident ? Hans Magnus Enzensberger, dans Le bel été de l’anarchisme répond et ne répond pas. Ou bien si, et de la meilleure manière possible : en répondant que rien ne va de soi. (suite…)
Classé dans: 7.10 Littérature allemande
13 janvier 2016
Ainsi alla sa vie
Gerhard Richter, Paysage près de Coblence (1987), Huile sur toile, 140 x 200 cm
Peut-être peut-on dire que tout poème garde inscrit en lui son « 20 janvier » ? Peut-être ce qui est nouveau dans les poèmes qu’on écrit aujourd’hui est-ce justement ceci : la tentative qui est ici la plus marquante de garder la mémoire de telles dates ? Mais ne nous écrivons-nous pas tous depuis de telles dates ? Et pour quelles dates nous inscrivons-nous ?
Paul Celan, Le méridien & autres proses, Paris, Éd. du Seuil, 2002